Sylvano Ruiz Soledad
et
Pablo Neruda
( Oeuvres croisées )
D E S P E D I D A
V A L P A R A I S O
Novembre 2016
Niña morena y ágil...
Elle était née un soir d'avril
dans la poussière ocre d’un village oublié et perdu,
quelque part au sud du Nouveau Mexique.
Longtemps, enfant, petite brunette un peu sauvage,
regard de braise et nattes sautillantes,
elle avait été bercée par les poèmes d'Antonio Machado,
les vers si lumineux de Federico Garcia Lorca,
le trop langoureux Concerto d'Aranjuez,
mais aussi et surtout l'Amour Sorcier de Manuel de Falla...
Ah... Manuel de Falla...
De Santa Fe, elle en avait souvent rêvé,
tout comme d'une bonne petite fessée,
un matin, dans l'herbe rase et dans la fraîche rosée...
Sylvano Ruiz Soledad
" Despedida Valparaiso "
1961
Tus rodillas, tus senos, tu cintura
faltan en mi como en el hueco
de na tierra sedienta...
Tes genoux, tes seins et tes hanches
me manquent comme au creux
d'une terre assoiffée...
" Los versos del capitan "
Pablo Neruda
1952
La Bodeguita del Medio.
Son père disait qu’il avait connu Castro,
Allende, Hemingway et Neruda.
Excusez du peu...
La nuit, il conduisait un vieux taxi mauve assez rutilant,
mais complètement cabossé et déglingué
dans les quartiers un peu troubles de La Havane.
Dans une boîte à gants qui n’avait, semble-t-il, jamais fermé,
il y avait, toujours à portée de main, une fiole de mojito crasseuse.
L’autoradio, antédiluvien, couleur poussière,
crachotait du crépuscule ocre aux aurores roses
des rengaines fatiguées et souvent très fatigantes.
Buena vista social club.
Bongos, congas, guiros et maracas...
Bonjour la compagnie...
Quand j’ai connu Dolorès,
elle était serveuse, le soir, à la Bodiguita del Medio,
dans le quartier de l’Empedrado,
à deux pas titubants du port.
Si ma mémoire est bonne,
elle portait toujours une petite jupe noire
qui faisait très classe,
très classe et très courte.
Un tissu bien doux, ma foi, bien doux,
un peu comme, le velours,
le velours d'une robe de maman,
très longue, très sombre, avec des reflets grenat.
C'était au temps jadis, quand j'étais niño pequeño,
mais je m'en souviens comme si c'était hier...
Madre de Dios !
Quand elle se penchait, Dolorès, de temps à autre,
pour rallumer, avec une nonchalance calculée, mon petit Bolivar,
j’adorais respirer, sentir, humer, je l’avoue,
son doux parfum d’épices et d’agrumes…
Un parfum de brune agacée et d’amandiers blessés,
si vous voyez ce que je veux dire...
Dolorès était brune dessus et brune dessous,
comme toutes les filles d’ici, d’ailleurs…
Très vite, je m’étais aperçu qu’elle ne portait jamais de culotte.
Avec la chaleur moite et poisseuse qu’il faisait ici,
dès la fin de la matinée, ça se comprenait, c’est sûr…
Et quand, par distraction,
il m’arrivait quelquefois, d’un petit doigt innocent,
de lui effleurer à peine son petit trou du cul,
elle faisait toujours mine de faire les gros yeux.
C’était très touchant,
ça donnait presque envie de faire la révolution
sur le champ...
A deux rues bringuebalantes de là,
le sinistre autoradio d’Ernesto n’en finissait pas de nous saouler
avec ses sales rengaines piteuses et calamiteuses…
L’air était immobile, comme les souvenirs,
et la nuit n’en finissait pas…
Sylvano Ruiz Soledad
" Despedida Valparaíso "
1961
Me inclino sobre el fuego de tu cuerpo nocturno
y no sólo tus senos amo sino el otoño
que esparce por la niebla su sangre ultramarina.
Je m'incline sur le feu de ton corps nocturne.
Il n'est pas que tes seins que j'aime,
Mais l'automne et ce sang d'outremer
Qu'il épand dans la brume...
" Cent poèmes d'amour "
Pablo Neruda
Ojos cerrados…
Emiliana avait baissé la lumière.
Elle s'était laissé glisser dans le grand fauteuil.
Elle avait fermé les yeux.
Elle pensait soudain à sa toute première fois…
Une à une, toutes les images lui revenaient doucement...
Les sons, les couleurs, les murmures...
Les couleurs, les parfums, les murmures...
Comme si c'était hier...
Elle se mit bientôt à couler...
Sylvano Ruiz Soledad
" Despedida Valparaíso "
1961
cauvin 05/01/2017 15:59
Loop 06/01/2017 11:07
noelle 06/09/2015 23:12
Oh ! My Loop ! 07/09/2015 10:13